"La confrérie des mutilés" de Brian EVENSON
10/18 Domaine étranger
Autant le dire tout de suite. Si vous avez plutôt l’âme sensible, abstenez vous de lire ce livre ! Abstenez vous d’ailleurs de lire ce billet, sinon il se pourrait bien qu’avant la fin de celui-ci vous soyez pris de nausées ! Mais quel dommage pour vous ! Car ce roman est odieux ! Magistralement et délicieusement odieux !
Kline est un policier. Au cours d’une enquête, il se retrouve face à criminel armé d’un hachoir. Pour en réchapper, il n’a d’autre solution que de laisser le tueur lui trancher la main, ce qui dans ce court laps de temps, lui permet de saisir son arme de service de son autre main valide, et de tirer une balle dans l’œil de l’assassin. Pour couronner le tout, Kline va cautériser lui-même son moignon ensanglanté sur une plaque électrique! (Je vous vois faire la grimace cher lecteur, mais je vous avais prévenu, d’ailleurs ce n’est rien comparé à la suite ! Accrochez vous donc !)
Cet exploit, rapporté dans la presse, ne va pas passer inaperçu. En particulier auprès d’une secte constituée exclusivement d’individus amputés d’un ou plusieurs membres, qui reste admirative devant ce geste insensé qui vient d’être accompli.
Pendant sa convalescence, Kline va être contacté par celle-ci pour lui demander de se déplacer dans ses locaux pour une affaire urgente. Notre policier refusera, et ce qui n’était qu’une demande courtoise va rapidement se transformer en une invitation ferme et coercitive, formulée par deux anges gardiens un peu trop directifs.
Dans cette confrérie, l’organisation y est très hiérarchisée. Les places et les grades s’établissent en fonction du nombre d’amputations comptabilisées sur la personne. Si vous ne possédez qu’un seul moignon, vous n’êtes qu’un vulgaire « Un » et occupez le bas de l’échelle. Par contre vous êtes un « onze » et occupez le haut du panier s’il vous en manque à ce point ! (je vous aide à traverser la rue ?)
Et c’est justement un Onze que va rencontrer notre homme, pour se voir confier une enquête qu’il ne peut refuser faute d’y laisser un peu plus que quelques membres .Le gourou de la secte a été assassiné et il convient d’en trouver le coupable.
Alors débute véritablement la descente aux enfers pour notre inspecteur si particulier. Car le problème voyez vous, c’est que les membres de cette confrérie ont la fâcheuse habitude de ne parler qu’à des personnes de rang égal ou supérieur. Et donc pour pouvoir les interroger et obtenir des informations il faut se mettre à leur niveau. Et pour se faire, avoir l'esprit de sacrifice. Vous me suivez jusqu’ici ?( ah je vois que vous commencez à pâlir ! ) Et la question est de savoir jusqu’où notre héro involontaire est il prêt à aller pour découvrir la vérité !
Les choses vont rapidement aller de mal en pis pour Kline devenu bien malgré lui une icône de ces croyants vouant un culte si particulier au don de soi. Son enquête le conduira à découvrir un groupe dissident de la confrérie ! Il se retrouvera bien malgré lui l’enjeu et l’outil de cette confrontation à mort entre les deux organisations rivales.
Et c’est donc au milieu de ce capharnaüm que notre flic va patauger et tenter de surnager. Au final celui-ci optera pour une solution radicale qui transformera le reste du roman en un cataclysme sanguinolent du meilleur effet !
Ce livre est hors norme. C’est un roman obsédant, dérangeant, qui vous met extrêmement mal à l’aise, mais dont on ne peut s’empêcher de se délecter à chaque page, tant nous prenons plaisir à l’inconfort. Car derrière le premier degré, abrupt et violent, se cache un humour noir jouissif, omnis présent.
La scène de la stripteaseuse qui une fois effeuillée de son soutien gorge et de son string , prolonge le spectacle en se décortiquant comme une écrevisse un soir de réveillon en s’ôtant bras, jambes, œil, seins,fesses…. est croustillant d’obscénité ! ( oh! mais vous changez de couleur cher lecteur, asseyez vous donc et gardez ce petit sac près de vous, sait on jamais!)
L’auteur est un ancien mormon qui a été sommé par son église de choisir entre l’écriture et sa foi. Heureusement pour nous, Brian Evenson a décidé de commettre des romans.
Sans doute règle-t-il d’ailleurs quelques comptes avec la religion en général ,qu’il monte en dérision à travers ce débat ubuesque qui agite la confrérie , pour savoir si l’amputation d’un orteil à la même valeur que celle d’un pied ou d’un bras dans le décompte des amputations ! Où lorsqu’il décrit les membres du groupe dissident où tous s’appellent Paul ! Vous imaginez les dialogues !
Et ne cherchez pas la moindre notion de bien ou de mal, de remord ou de doute, vous n’en trouverez pas. Evenson ne s'attache pas à l' épaisseur psychologique de ses personnages. Tout juste Kline se demande de quoi le lendemain sera-t-il fait. La force d'Evenson reside dans les situations qu'il mets en place, dans son écriture épurée qui sert une mise sous tension du lecteur de plus en plus forte et étouffante.
J’avais déjà dans ma bibliothèque un livre de Brian Evenson que je n’ai pas encore lu , « Inversion », qui semble baigner lui aussi dans un univers tout aussi curieux.Je crois que je vais bientôt m’intéresser à lui ! Mais pas trop vite non plus, histoire de me remettre un peu de celui ci qui a quand même accompli l'exploit de me faire faire un cauchemar( moi qui n'en fait jamais) où je rêvais que l'on m'avait amputé des deux mains! Avouez que cela aurait été ballot pour écrire cette critique!
Quant à vous cher lecteur, si la lecture de ce billet ne vous a pas retourné l’estomac, il ne vous reste plus qu’à vous lancer dans celle de ce roman si particulier ! Mais attention, à le dévorer, il se pourrait bien que les bras vous en tombent !
Bonne lecture!