JACQUES EXPERT
EDITIONS SONATINE
" Ce soir à la télé il y a " Affaires non résolues". C'est le reportage sur l'affaire Carpentras. On vient de voir la bande annonce"
" oh à cette heure là, je dormirai! Le travail de paysan, ça fatigue son homme."
" tu vas rater çà ?" "tu m'étonnes papa, tu ne peux pas l'avoir oublié, cette affaire , si ? En tout cas moi je n'ai pas oublié, je vais regarder" .../..
J'attrape une cacahuète, j'ai la tête ailleurs.
Si je connais bien l'affaire? Ca, oui, je la connais. Puisque c'est moi qui ai violé et tué la petite.
A une époque où dans nos sociétés tout est spectacle, où le voyeurisme assumé se conjugue avec l'exhibitionnisme revendiqué , où l'attraction du trash et du morbide n'a jamais été aussi forte, les émissions consacrées aux meurtres et autres affaires criminelles ne peuvent qu'avoir une place de choix dans nos menus télévisuels.
Mais vous est- il déjà venu à l'esprit tandis que vous regardiez une de ces émissions, bien installé dans votre fauteuil, que quelque part, assis lui aussi dans son canapé, entouré de sa famille, un tueur que la justice n'a jamais su prendre dans ses filets, peut lui aussi regarder la même émission que vous?
Un homme qui voit son œuvre criminelle magnifiée par la télévision qui le fait passer à la postérité cathodique.
Un homme qui sait sa victoire totale et dont le sentiment de supériorité est exacerbé par cet aveux d'impuissance de la justice et qui prends un plaisir immense à voir ses exploits racontés dans un programme.
Ce postulat, c'est celui de Jacques Expert dans son dernier roman "Qui?"
Cela fait 19 ans que le crime de la petite Laëtitia hante la mémoire des habitants du Grand Chêne à Carpentras. Que l'histoire de la ville est entachée par cet acte ignoble qui a vu cette petite fille violée et massacrée à coups de pierre.
19 ans que le coupable court toujours. Et le temps de la souffrance et du souvenir qui se rapproche inexorablement de celui de la prescription et de l'injustice.
L'espace d'une émission de télévision, une dernière chance est donnée à la vérité pour qu'elle parvienne à cheminer jusqu'à la lumière.
il sont quatre hommes, pères de famille, qui s'apprêtent comme des milliers d'autres français, à regarder au milieu des leurs, ce numéro d' "Affaires non résolues" consacré à celle de Carpentras. Des hommes hantés par ce drame qui les avait réuni vingt ans plus tôt autour du corps de la petite victime qu'ils avaient été les premiers à découvrir.
Et parmi eux , le tueur.
Au fil de l'émission vont ressurgir les souvenirs: Les fausses pistes, les suspects d'un temps, et avec eux les interrogations, les questions sans réponses, les doutes, et les soupçons.
Car ce qu'ignore le tueur, c'est que sa femme qui regarde l'émission à ses côtés a déjà réuni les pièces du puzzle.
Au fils des ans, des petits détails sont remontés à la surface, qui se sont enkystés dans l'esprit et qui progressivement ont fait que les impressions sont devenues des suspicions , et les suspicions des certitudes.
Jacques Expert se livre à un exercice plutôt bien maîtrisé. Le roman se déroule au rythme de l'émission, et alterne les locuteurs féminins et masculins sans toujours savoir qui s'exprime vraiment. On sait juste que "lui" est le tueur, et "elle" sa femme.
Car si le tueur parle dès le début du roman, il faudra bien attendre la fin de celui ci pour en connaitre véritablement l'identité.
Toujours est il que les femmes respectives de ces quatre hommes ont toutes des raisons de douter, ce qui crée au fil du livre une tension qui mettra progressivement à jour les parts d'ombres de chacun et alimentera un dégoût particulièrement corrosif qui viendra à bout des dernieres réticences à croire l'impensable pour l'une d'entre elle.
Entre souvenirs des protagonistes et reportages de l'émission Jacques Expert distille savamment les indices propre à lever le voile sur la vérité mais qui sont aussi paradoxalement autant d'éléments d'un miroir aux alouettes dans lequel le lecteur se laissera prendre.
Au final, un roman qui parviendra à plonger son lecteur dans un certain malaise. Car rien ne ressemble plus à un monstre qu'un homme ordinaire.