" Rendez-vous à Saint-Antoine" de Mathias GODDON
" Editions PAPIER LIBRE"
Après avoir découvert les éditions « Papier Libre » avec un premier roman, « Crucifix et crustacés » d’Hervé MESTRON (dont vous trouverez mon billet ici "Crucifix et crustacés" d'Hervé MESTRON ) , nouvelle rencontre aujourd’hui à travers le dernier roman de Mathias GODDON « Rendez-vous à Saint-Antoine ».
Les romans que publient « Papier Libre » portent le charme de nos villes et fleurent bon le terroir de nos campagnes. Si les américains ont les déserts et les belles Chevrolet, nous avons pour nous nos vieux troquets, nos vieilles églises et nos dynamiques C3!
Que pensez vous que puisse faire un professeur à la fin de son année scolaire quand celui-ci vient de perdre sa femme, lassée d’une vie qui tourne autour des copies à corriger, des évènements de cours, et d’un lycée dans lequel elle n’a jamais mis les pieds, mais qui envahit toujours un peu plus l’espace vital de son couple ? Boire sans doute ! C’est ce que ne manque pas de faire Lucien Tordot, professeur de son état, qui cherche au fond de son verre l’explication de sa déchéance conjugale.
C’est là, dans ce café situé pas très loin de son établissement que le vieux bonhomme aime à s’appuyer sur le zinc froid et à s’humecter le gosier tout en parlant pour lui-même ou pour Casimir, le patron des lieux, qui a pour courtoisie d’écouter son client, et pour amitié de refreiner sa consommation.
Etienne, un jeune collègue de Lucien, a bien compris que son ami ne tourne pas rond depuis quelques temps, et voir sa tête le matin quand celui-ci arrive en salle des professeurs n’est pas pour le rassurer sur l’évolution de sa situation. Allant trouver Casimir pour lui parler de son ami, il comprend que le barman derrière son comptoir fait déjà tout ce qu’il peut pour limiter les dégâts. Reste la présence et l’amitié comme une bouée jetée à la figure du désespoir en espérant que Lucien s’y raccroche.
Pourtant c’est un fait divers dans le journal qui va sortir Lucien de sa torpeur. Un meurtre pensez donc ! Un homme étranglé puis poignardé, et retrouvé dans un local à poubelles. Et le crime qui s’est passé tout prés du bar de Casimir ! Voilà qui ne manque pas de sel ! Or Lucien se rappelle être passé dans cette rue ce soir là ! Il n’en faudra pas plus pour émoustiller sa curiosité et voir germer en lui cette idée folle de mener sa propre enquête ! Projet qui n’est pas sans rendre Etienne et Casimir particulièrement dubitatifs ! Mais après tout, si cela pouvait occuper l’esprit de leur ami et le tenir éloigné des verres d’ivresse, pourquoi pas !
D’autant que lorsque l’inspecteur suivant l’affaire se présente au bistrot pour l’enquête de voisinage, celui-ci tombe sur Lucien qu’il connait depuis des années. Entre les deux hommes quelques échanges qui aboutiront à la conclusion d’un accord pour s’aider mutuellement. Accord scellé par l’inspecteur davantage pour faire plaisir à Lucien que par conviction d’avoir trouvé un auxiliaire précieux et indispensable.
Malgré tout, Lucien et son compère Etienne qu’il embarque avec lui dans l’aventure, ne vont pas démériter et vont se montrer au final perspicaces. Avec des moyens se résumant à leur bon sens, leur intuition et une petite dose de chance, leur enquête les conduira, à une soixantaine de kilomètres de là, où un autre meurtre à été commis et où sévit un corbeau impitoyable.
Haut lieu religieux, Saint-Antoine renferme dans son abbaye les reliques du Saint qui lui a donné son nom, et qui était connu autrefois pour guérir le « mal des ardents ». De là à penser qu’une malédiction est à l’œuvre dans le village…
Mathias GODDON nous livre là un sympathique roman qui s’inscrit dans notre paysage provincial. A partir d’un scénario qui n’ambitionne ni le spectaculaire ni l’hémoglobine à tout craint, il bâtit une histoire solide qui chemine sans à-coup, et conduit son lecteur vers l’issue finale aussi sereinement qu’un fleuve va à la mer.
Mathias GODDON crée des personnages à la fois ordinaires et pittoresques, à la faiblesse et à la sincérité attachantes. Des personnages enfermés dans la bulle de leur vie quotidienne, qui pour en échapper, s’inventent le temps des vacances, un costume et une vie de détective. Une vie où ils peuvent être utiles aux autres à un moment où ils doutent du sens et de la finalité de leur propre fonction sociale.
Le lecteur se laissera facilement prendre au jeu , et suivra non sans une certaine curiosité la drôle d’enquête que vont mener les deux compères. D’autant que l’inspecteur en charge de l’enquête officielle ne sera lui, pas toujours d’une très grande perspicacité. Au point que nos deux « apprentis détectives » finiront par avoir un wagon d’avance sur ce dernier et arriveront en gare avant lui !
Si Mathias GODDON nous donne une belle description de ces bistrots qui hantent notre imaginaire collectif et qui tendent à disparaitre aujourd’hui de nos paysages urbains, où de ce village qui va servir de cadre au dénouement de l’histoire, je regrette un peu malgré tout qu’il n’y ait pas une dose un peu plus importante d’humour dans ce roman. En effet, bien des situations pouvaient s’y prêter, et lorsqu’on a un aperçu du talent de l’auteur en la matière, cela donne des passages truculents, comme celui du cauchemar que fait Etienne d’un Inspecteur d’Académie ! ( mais c'est sans doute parce que je bosse moi même dans la grande maison que ce passage m'a énormément plu).
Pour autant, le but est atteint. Le lecteur fini le roman sans vraiment s’en rendre compte, et ne regrette d’avoir effectué le trajet Grenoble – St Antoine en C3 à plus de 150km/h sur l’autoroute !